Ils ont évité la pleine lune, au moins. Ils ont déjà ça de leur côté alors que les ombres les entourent légèrement pour les dérober à la vue inattentive d’une possible patrouille et qu’ils avancent dans les rues sans échanger un mot, leur seul semblant de communication se faisant quand les doigts de Thanatos frôlent le bras de Ryan pour lui signaler un changement de direction quand des murmures atteignent ses oreilles. Discuter avec des âmes qui sanglotent aurait moins d’intérêt que de s’en éloigner pour s’éloigner en même temps de possibles automates ou créatures. L’heure n’est pas à une bataille insensée et sans but. L’heure est à un but qui n’a peut être aucun intérêt mais qui a été fixé des mois auparavant, qui était peut être né dans leurs esprits alors qu’ils étaient encore planqués dans ce bâtiment désaffecté après la mission de sauvetage et qu’ils n’avaient pas eu l’occasion de mettre en marche jusqu’à maintenant.

Il semble étrangement concret, pour une fois. S’infiltrer chez les militaires pour trouver les informations sur les humains à dons qu’ils pourraient avoir, sur les autres êtres à pouvoir s’ils tombaient dessus. Ils ne devaient certainement pas en savoir plus qu’eux à ce sujet ou à propos de la situation générale, mais peut être qu’ils pouvaient leur apprendre quelque chose sur les égaux de Ryan, peut être qu’ils étaient responsables de leur existence, peut être que leurs expériences avaient bien menées à des résultats et qu’ils en étaient la preuve vivante, eux aussi rendus amnésiques du moment le plus important de leur existence. Peut être qu’ils avaient simplement trouvé des informations dans leur sang ou leur adn qui pouvait avoir la moindre incidence sur la suite des événements. Ou peut être qu’ils ne savaient rien, mais qu’ils cherchaient autre chose, pas une bête immortalité qu’ils n’obtiendraient jamais. Quelque part, il était peu probable qu’ils trouvent tout cela écrit noir sur blanc entre deux dossiers, mais ça n’avait pas vraiment d’importance, parce qu’au moins ils faisaient quelque chose, au moins il y avait un but, même s’il était flou, même si la route pour l’atteindre l’était plus encore.

Il n’y a que le silence qui les suit sur le trajet et Thanatos ne voyage que dans son propre crâne jusqu’à ce que le pont familier ne se dresse devant eux, premier rempart entre la ville décharnée et le camp militaire. Alors seulement, il pose son regard sur son compagnon d’infortune, et oublie une seconde pourquoi ils sont là alors qu’il le dévisage sans grande discrétion. C’est étrange, de ne pas avoir une seconde à se demander ce à quoi l’autre peut bien penser, ce qu’il peut bien ressentir, parce qu’il y a un calme dans son expression qu’il accepte trop aisément comme la réalité tant il reflète le sien. « Je vais épaissir les ombres pour qu’ils ne puissent pas nous deviner. Il faut qu’on reste dans la zone de nuit totale et ne pas faire de bruit. » Sinon, les ombres seront inutiles. Sinon, elles ne deviendront plus qu’un handicap, parce que tandis qu’elles s’épaississent, leur vision s’obscurcit et il détourne le regard vers le pont pour s’assurer que la zone de nuit longe le muret avant de ne plus être capable de discerner que des formes vagues. « Je vais te toucher. » C’est un murmure et les doigts s’enroulent autour du bras du professeur pour lui servir de point d’accroche et lui permettre d’avancer sans s’inquiéter de la quasi-cécité. « S’ils nous voient quand même, je compte sur toi pour les empêcher de tirer l’alarme. » Les ombres glisseront, alors, pour libérer Ryan, pour lui laisser la voie libre pour glacer leurs lèvres et leurs corps, pour brûler leurs mains, peu importe, de toute façon, tant qu’ils peuvent traverser.