Il y a des choses troublantes qui se passent dans cette ville, clairement. Ceci n'est pas nouveau, depuis plus de deux ans la ville et le monde en général par dans une belle et folle déliquescence. Tu essayes de t'accrocher comme tu peux, mais ton métier de journaliste aide bien à rester cramponnée à la réalité. Combien de temps vous reste-t-il à vivre dans ce monde ? Le ciel pourrait-il vous tomber sur la tête ? N'était-il pas déjà tombé sur vos têtes sans que vous ne le sachiez réellement ? Difficile à dire, mais il se passait trop de choses étranges, et aucune explication n'était donnée ou presque. Il fallait supposer, il fallait deviner, et même si tu as un bon instinct, tu ne peux pas sortir tant de choses de ton chapeau Sarah. Ce soir donc, tu t'es mise en mode travail. Tu sais que ce n'est pas une carte magique, mais c'est une carte pratique si jamais on te demande de justifier certains de tes déplacements ou que ce soit dans la ville. Et donc, tu es à Manhattan, dans un bus te transportant justement en direction de ton lieu de travail. C'est la fin d'après-midi, tu as de petites choses à récupérer au bureau du New York Times avant de repartir chez toi, dans une des navettes de la ville ou à pied en fonction du timing. Si tu as le temps, tu feras le trajet à pied. Tu essayes de faire ce que tu peux pour entretenir ton corps d'athlète. En vrai, tu es plus lecture que sport, mais tu marches beaucoup depuis quelques mois maintenant. C'est le mode de transport le plus pratique vu que tu ne peux pas utiliser à volonté les transports en commun comme c'était le cas auparavant. Si tu étais dans le médical, ce serait peut être différent, mais ce n'est pas le cas, tu n'es que journaliste. Bref, tu es dans ce bus là, et ton regard croise les autres regards pour se poser sur un homme en face de toi. Etrangement, il t'intrigue presque trop, et dans ton esprit, tu le vois habiller en gueux agitant une saucisse dans sa main. C'est complètement débile, mais ça te fait sourire, et du coup, à la descente du bus, tu l'attends puisque tu es à côté de la porte par rapport à lui. Tu as vu qu'il t'avait remarqué aussi, comme si finalement, comme la rencontre de ce matin, il y avait une impression de déjà persistante.

La navette serpentait dans les rues de New York, bondée, contournant les rues coupées par le chaos des jours sombres qui s’était abattu sur l’humanité. Les passagers, fatigués et abattus, ne semblaient tenir que par le fait d’être debout, serrés les uns contre les autres. Drôle d’image.

Dolos, dieu de la Ruse fondu dans la mortalité sous le nom d’Arsen Lynch, n’est aujourd’hui qu’un passager de plus. Constatant la conséquente descente de ses provisions, il n’eût autre choix que de céder aux transports facilités pour accéder au point de ravitaillement le plus proche, sac-à-dos sous le bras.

Ces derniers temps, face à l’ennui absolu que représentait la déprime générale, le dieu hyperactif en avait bavé pour se maintenir vivace et occupé. Personne dont se moquer, personne d’assez stable à manipuler… Les âmes, devenues vides, inintéressantes, n’avaient plus grand chose à offrir, si ce n’était dans quelque soirée teintée de rébellion. Il avait fallu qu’une certaine Mort Bénie vienne le tirer du foin dans le lequel il avait décidé de se prélasser; et s’il fallait que ce soir la Mort qui rappelle à la vie, le monde pouvait s’avouer bel et bien foutu !

La folie retrouvée à la pair d’un nouveau propos, l’inspiration avait regagné le forban, qui avait choisi un habit distingué, ce jour là. Entièrement vêtu de noir, impeccable, seule une chaîne en argent représentant un serpent se mordant la queue brillait sur son torse enchemisé. Les regards baissés, les âmes crevées ne semblaient pas remarquer la présence du visage pourtant singulier, à l’exception de… Tiens tiens. Le regard clair et vif accroche celui d’une jeune femme blonde aux traits doux, un brin de fraîcheur dans la morosité. Depuis combien de temps le regardait-elle ?

Le sourire franc et assuré, Dolos soutenu un instant le regard de l’humaine, exceptionnellement confiante. Étrange; s’il était facile d’être troublé en regardant le dieu des fourbes droit dans les yeux, on affichait toujours une certaine gêne, une certaine timidité si l’on accrochait son regard trop longtemps. Les cœurs battaient toujours un peu vite dans la gorge, les pupilles ne savaient vraiment si se dilater ou bien se rétracter; les sens confus par le charme hypnotique et la sensation instinctive de danger résultaient en une instabilité obsédante qui nourrissait l’excitation paradoxale de la Tromperie. Or ici, le magnétisme semblait fonctionner autrement, contemplation passive. Il haussa un sourcil, se demandant si elle ne regardait pas plutôt dans le vide, et les yeux du dieu passèrent de la jeune femme blonde à la ville en ruine qui se glissait dans le paysage à l’extérieur.

Passage sous un tunnel, il retrouva les yeux de cette dernière dans la vitre, qui semblait toujours obnubilée par sa présence. Il lui adressa un clin d’œil mutin dans le silence, tandis qu’ils s’approchaient  de la fin du trajet, qui ne fût visiblement pas loupé si l’on en croit la lenteur de l’étrangère au moment de sortir du véhicule. Était-elle entrain de laisser passer, voire gêner les gens pour l’attendre ?

Quand il arriva près de la porte à son tour, il ne restait plus qu’elle, debout devant les marches. Il plissa les yeux.

- Je peux passer, ou…vous souhaitez un autographe et ne savez pas comment me le dire, c’est ça ?

Silence déstabilisant. Il agita sa main devant les yeux de la jeune fille.

- Je n’ai rien contre un nouveau tour de carrousel, mais le monsieur là devant n’à pas l’air de prendre plus de jetons, ma chère !

Combien de temps est ce que tu l'as regardé ? Combien de temps s'est-il passé avant qu'il ne le remarque ? Tu n'en sais strictement rien, mais tu continues d'en sourire alors que tu es sûre qu'il t'a bien vu, puisque de toute façon les autres regardent leur pied ou presque. Il te sourit, il semble presque s'en amuser d'ailleurs, parce que tu es la seule à agir de la sorte, les autres étant physiquement présents, mais comme mentalement ailleurs, c'est comme ça depuis que le couvre-feu a été instauré, depuis des mois donc. Toi, tu tentes de vivre une vie normale, enfin tout ce qu'il y a de plus normal évidemment, parce que ce n'est pas réellement possible. Et donc, finalement vos regards s'échappent l'un de l'autres, le sien regardant alors la ville en ruine. Peut être a-t-il pensé que tu fixais un point dans le vide, peut être bien oui, pourtant c'est bien lui que tu fixais avec une sensation étrange, presque du déjà-vu, à moins que ça ne soit quelques choses de différent encore, difficile à dire. Pourquoi est ce que tu n'arrivais pas à décrocher ton regard ? Comment avait-il réussi à t'hypnotiser de la sorte ? Est ce qu'il était un être doté de capacités surnaturelles pour agir de la sorte ? Tu sais qu'il en existe, mais tu n'en connais pas personnellement, du moins, tu ne penses pas en connaître. Le trajet se termine alors, et tu aurais pu marcher et fuir dans une direction ou une autre, fin de l'histoire, mais non, tout le monde était descendu, et il arrivait enfin. Il ne restait plus que toi, les autres ayant déjà tracés leur chemin dans une direction ou une autre.

" Un autographe, oui c'est ça. Vous êtes acteur, n'est ce pas ? Je jurerais vous avoir vu dans une série en train d'agiter une saucisse, dites moi que c'est bien vous ? "

Oui, elle ose faire la comparaison à voix haute. Elle tente quelques choses, elle ne sait pas s'il va mordre à l'hameçon, mais elle l'a trop fixé pour le laisser s'échapper ainsi. Pas de tours de manège en plus, mais vous pourrez marcher un peu, et qui sait ce qui pourrait bien se passer avec ce jeune homme ? Tu n'en sais strictement rien, mais tu sens déjà que le feeling est bon, ou alors il va s'enfuir devant ta référence télévisuelle complètement pourrie. Ce n'est sans doute pas lui, mais il lui ressemble. Ou alors, c'est cet acteur qui jouait dans Misfits ...